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Journée d’étude • Microhistoire et pratiques historiennes, 11 mai 2012, Marne-la-Vallée

Microhistoire et pratiques historiennes
Échelles, acteurs et formes narratives

Vendredi 11 mai 2012, Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Cette journée d’études se propose de faire le point sur les études microhistoriennes aujourd’hui, de mesurer leurs principaux apports (essentiellement en France) et leur influence sur notre manière de faire de l’histoire, mais aussi de préciser les limites d’une telle démarche. La journée aura lieu le 11 mai 2012, à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.

Née en Italie au cours des années 1970 dans des travaux d’histoire moderne, la microhistoire (microstoria) a permis de modifier en profondeur notre manière de faire de l’histoire en offrant une alternative aux approches macrohistoriques, structuralistes et fonctionnalistes. Elle propose aux historiens de réduire l’échelle d’observation, de faire l’histoire « au ras du sol » et de délaisser l’étude des masses ou des classes pour s’intéresser à des groupes plus restreints ou des individus. Cependant, la dimension « micro » n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt ? Certes, la microhistoire propose, avec la réduction de la focale, une méthode d’enquête qui permet à la fois de varier utilement les échelles d’observation et d’obtenir des résultats inédits, propres à enrichir la connaissance d’une société. Mais plus fondamentalement, ce courant multiforme, porté par des personnalités diverses, ne propose-t-il pas de remettre une fois encore en jeu la question de la fabrique de l’histoire ?

Après que l’histoire a dû, avec la naissance des autres sciences sociales, infléchir ses pratiques anciennes et se plier peu ou prou aux procédures du raisonnement expérimental (Penser par cas, Paris, 2005, p. 27-28), et alors que cette démarche trouvait avec l’école des Annales sa meilleure expression dans la prise au sérieux de la fréquence comme preuve, une remise en question de ce modèle s’est fait jour dans différents courants de l’historiographie. La mise en évidence par Carlo Ginzburg de l’utilisation du « paradigme indiciaire » dans la discipline historique aux dépens du « paradigme galiléen » marqua les esprits (« Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », [1979], réédité et retraduit dans Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, 2010). Ne s’agissait-il pas au fond de reprendre une nouvelle fois la question du réel historique, et ce qui lui est lié, celle de la vérité historique ?

On a souvent comparé l’approche microhistorienne et la pensée par cas du droit ou de la psychanalyse dans ses débuts. La production du réel historique, comme celle du savoir historique, ne gagnent-elles pas en effet à redonner sa place à la dimension du vrai grâce à la mise en récit ? Il semble que la microhistoire ait depuis ses débuts, dans le même temps que d’autres démarches historiennes, relevé cet enjeu. La proximité souvent soulignée entre histoire et roman rappelle peut-être ce que la vérité doit à la poésie « mensongère », aux fables, aux légendes, dans leur lutte antique avec la philosophie. Il n’y a peut-être pas de hasard à ce que les premiers travaux de microhistoire, et des plus représentatifs, se soient affrontés à ces pratiques et donc à ces savoirs que sont les batailles nocturnes, l’univers mental d’un meunier ou l’héritage immatériel dans une famille villageoise. Toutes pratiques qui s’affrontaient avec les nouveaux pouvoirs et les nouveaux savoirs dont justement les géomètres des cadastres et des terriers furent parmi les acteurs les plus engagés. Et Carlo Ginzburg de raconter comment il éprouvait à la lecture des procès de sorcellerie autant d’empathie pour les victimes que de proximité intellectuelle avec les juges. Le défi relancé au nom de l’histoire par la microhistoire (un défi dont encore une fois elle n’est pas propriétaire) ne se tient-il pas dans cette tension assumée où la dimension du vrai que le récit impose, et le savoir qui en trace le bord, construisent un réel historique aussi fictif que consistant.

On comprend alors volontiers que ce courant historique ait permis de réhabiliter l’individu ou le groupe restreint (familles, communautés villageoises, quartiers…) en tant qu’acteur, de soutenir que les hommes ne sont pas seulement soumis à des pouvoirs supérieurs, qu’ils ne sont pas des êtres seulement déterminés par des structures biologiques, économiques, sociales et culturelles. Dans la même veine, l’approche microhistorique a entraîné une réflexion sur l’articulation entre normes et pratiques, entre événements et structure : « Il faut partir du sable dans l’engrenage, écrit Carlo Ginzburg. Si on prend les règles pour point de départ, on risque de tomber dans l’illusion qu’elles fonctionnent, et de passer à côté des anomalies. Mais si on part des anomalies, des dysfonctionnements, on trouve aussi les règles, parce qu’elles y sont impliquées ».

Enfin, les deux tendances, qu’à travers les travaux pratiques et théoriques des microhistoriens on dessine aujourd’hui, ne sont-elles pas simplement deux formes d’une même ambition ? La première, qui s’est surtout affirmée après 1979 dans l’article cité de Carlo Ginzburg, postulerait que les objets observés à l’échelle micro échappent à toute généralisation, à l’inverse de la science galiléenne pour qui individuum est ineffabile. La seconde, parfois appelée microhistoire sociale, dont Giovanni Levi est le représentant le plus connu, tenterait de restituer la cohérence d’un univers restreint en faisant varier les angles de vue et les échelles d’observation, mais surtout jugerait nécessaire de restreindre l’unité d’analyse choisie pour étudier la structure sociale qui reste l’horizon d’attente.

Journée d’études coordonnée par Antoine Franzini et Didier Lett – Laboratoire de recherche Analyse Comparée des Pouvoirs (EA 3350)

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